Les familles d’accueil enfin entendues

Publié dans L’Avenir, le 3 mars 2015
par Caroline DESORBAY

Depuis des années, les familles d’accueil demandent à être davantage reconnues via un statut et plus de responsabilités au quotidien. Ça avance. Enfin.

3500 enfants sont placés dans des familles d’accueil. 75  d’entre eux sont hébergés par des membres de la famille.

Voilà déjà plusieurs années que les familles d’accueil ré­clament une reconnais­sance de leur parentalité partielle à travers un statut et une simpli­fication des démarches adminis­tratives histoire de leur faciliter un quotidien bien rempli. Leur rôle est essentiel. En offrant du lien et des repères aux enfants en
souffrance, elles leur permettent de se poser, de souffler et de se re­construire. À moindre coût par rapport au placement en institu­tion.

Vite dit

3 500 enfants en familles d’accueil

En Belgique francophone, sur les 7 500 enfants qui ne peuvent plus vivre avec leurs parents à cause de dysfonctionnements familiaux, environ 3 500
sont placés dans des familles d’accueil. 75 % de ces placements se font dans la famille élargie de l’enfant.

Le placement en famille d’accueil dure en moyenne dix ans.

Essentiellement de jeunes enfants

La grande majorité des enfants qui ont la chance de trouver une famille d’accueil sont jeunes ; ils ont entre 1,5 an et 6 ans. Actuellement, une centaine d’enfants vivant dans des pouponnières attendent une famille. « Les gens sont beaucoup plus réticents à accueillir les enfants plus âgés. Ils ont peur du
parcours chaotique de l’enfant, de la collaboration avec ses parents », explique Xavier Verstappen, président de la Fédération des services de placement familial.

Une centaine d’enfants, âgés de plus de 6 ans, sont tout de même en attente d’une famille. « Il y a aussi de très beau parcours à vivre avec les ados », affirme-t-il.

Onze services de placement pour encadrer les familles

Chaque famille accueillante est en principe suivie par un des onze services de placement familial. En principe seulement. Dans certaines zones, les familles sont livrées à elles-mêmes. Et la qualité du suivi varie très fort d’un service de placement à l’autre. « Certaines familles doivent attendre systématiquement trois mois pour obtenir l’autorisation de quitter le territoire alors que les autres l’obtiennent en trois jours. Ce n’est pas normal », s’insurge une maman d’accueil.

Plus de 200 enfants attendent

Selon Xavier Verstappen, prési­dent de la Fédération des services de placement familial en Belgi­que francophone, il y aurait ac­tuellement plus de 200 enfants en attente d’une famille d’ac­cueil.

Si les candidats sont rares, ce n’est pas seulement parce que l’accueil familial demande un énorme investissement en temps et en émotions. Dans la pratique, ce beau projet de vie a souvent des allures de parcours du com­battant.

Sortie scolaire en dehors des frontières, changement d’école, soins médicaux de base, signa­ture du bulletin… seuls les pa­rents biologiques peuvent prendre les décisions, signer les autorisations.

«Il arrive qu’ils soient injoignables pendant plusieurs mois. Cela compli­que vraiment le quotidien de ces familles. Tout le monde est d’accord pour dire qu’une meilleure recon­naissance des familles d’accueil faci­literait leur quotidien», constate le responsable de la Fédération.

Quotidien allégé dès cet été

Ça bouge enfin en Commu­nauté française. Le ministre en charge de l’aide à la jeunesse, Ra­chid Madrane, qui a rencontré des membres de l’ASBL « La porte ouverte » regroupant les familles d’accueil francophones, œuvre au raccourcissement du délai de recrutement des familles et à la simplification de toutes les pro­cédures administratives qui peu­ vent l’être. « L’idée, c’est de permet­tre à la famille d’accueil et aux parents de l’enfant de signer, chaque
année, un document qui délègue cer­tains droits à la famille d’accueil », ex­plique Vanessa Despigelaere, por­te ­parole du ministre.

Un décret à modifier et une circulaire à rédiger. Tout ça devrait être d’application d’ici la fin du mois de juin.

Du côté de l’ASBL « La porte ouverte », on se réjouit bien sûr de ces mesures « même si on n’a pas été concertés » et pour ce qui est de la durée de sélection des familles d’accueil, on aimerait aussi que la formation et le soutien aux fa­milles soient renforcés.

Statut : Koen Geens déposera un projet de loi avant fin 2015

Pour ce qui est du statut que les parents d’accueil réclament à coret à cri depuis 2006, la balle est dans le camp de Koen Geens, ministre de la Justice. «Rien n’avance depuis 2006. Il y a bien eu l’une ou l’autre proposition de loi mais on dé­pose et ce n’est jamais acté», déplore l’ASBL qui travaille conjointe­ment avec son homologue néer­landophone Vlaamse Vereniging voor Pleeggezinnen.

Interpellé à la Chambre le 21 janvier dernier par Sabien La­haye­Battheu (Open Vld), Koen Geens a répondu positivement.

« Nous devons aller de l’avant dans ce dossier. Un statut légal pour les parents d’accueil doit être élaboré en concertation avec les Communautés.

[…] Je voudrais déposer un projet de loi au Parlement avant la fin de l’an­née. Ce statut devra tenir compte de la responsabilité primaire des pa­rents et du rôle joué par les parents d’accueil dans la vie de l’enfant. En fonction des nécessités et des circons­tances concrètes – telles que la durée et les possibilités de retour –, les pa­rents d’accueil doivent pouvoir rece­voir certaines compétences.» Cette fois, l’espoir est permis. « Il y a manifestement une volonté d’avancer mais pour que les réfor­mes tiennent la route, il faudra impli­quer tous les acteurs du secteur ».

Le lien plus fort que la loi

Une fois leur coparentalité re­connue, toutes les familles auront droit à un congé parental, à un congé d’accueil… Un congé indispensable assure Xavier Vers­tappen « vu l’énergie et le temps né­ cessaires à la préparation de l’accueil de l’enfant. Pendant deux ou trois mois, il faut multiplier les allers re­
tours à la pouponnière pour établir la relation avec l’enfant, sans comp­ter les rende-z­vous avec le service d’accompagnement ».

Les parents d’accueil aimeraient qu’on leur enlève un autre caillou de leurs chaussures. Actuellement, une fois le jeune parti, ils n’ont pas toujours le
droit d’avoir des nouvelles alors qu’ils l’ont parfois élevé durant plusieurs années. Heureusement, dans bon nombre de cas, le lien est plus fort que la loi.

Témoignages

«Un coup de fil et, quelques heures après, l’enfant est là»

En un peu plus de trois ans, la famille Artini a accueilli neuf enfants. Le plus âgé avait 2,5 ans, les plus jeunes 2 ou 4 mois. « On me téléphonait et quelques heures plus tard, l’enfant était là. L’accueil d’urgence et celui de longue durée sont différents. Dans le premier cas, l’enfant reste maximum 45 jours chez nous avant de retourner dans sa famille ou en institution. L’atta­chement est différent : quand on ac­cueille un enfant pour plusieurs an­nées, on peut le considérer comme un enfant de la famille. Mais même si l’enfant ne reste pas longtemps, on s’y attache. Comment ne pas câ­liner un bébé de 2 ou 4 mois ? Quand il pleurait trop la nuit on fai­sait comme pour nos enfants, on le prenait dans notre lit . »

Pour que l’accueil se passe bien, il faut pouvoir consacrer du temps, de l’attention à ces en­fants qui ont déjà connu de soli­des turbulences. « Cela demande une certaine disponibilité, heureuse­ment je travaille quelques jours par semaine à la maison. Du temps, mais aussi de l’attention, de
l’écoute… » Et un réseau de ma­mies et d’amies en soutien : «On ne reçoit aucune aide pour les en­fants accueillis en urgence au ni­veau des crèches alors il faut pou­voir faire appel à l’équipe ». Une peccadille à côté de ce que leur apporte cette expérience.

« De l’amour, de la joie, de l’enrichis­sement émotionnel même dans le cadre d’un accueil à court terme ».

Actuellement, la famille Artinisuit le parcours pour devenir famille d’accueil de longue durée.

« C’est une tout autre démarche. Il y a un long travail de préparation. Pendant plusieurs semaines, on va voir l’enfant à la pouponnière afin
qu’il s’habitue à nous. On rencontre les psychologues du service de pla­cement. Cela laisse le temps à la fa­mille de réfléchir à ce projet de vie,
de prendre la mesure des contrain­tes qu’elle devra assumer ».

Une crainte avant le grand saut ? « Peut-­être le contact avec la famille de l’enfant, la collaboration est parfois difficile. J’espère qu’on restera en relation avec l’enfant une fois qu’il sera adulte. On investit dans l’éducation de l’enfant, on lui apporte son soutien, son amour tout en sachant qu’il peut retourner dans sa famille et nous laisser sans nouvelles. Mieux vaut le savoir. » Ca.D.

« J’espère que Thomas aura une belle vie d’adulte »

Devenir famille d’accueil, Va­lérie, maman de trois en­fants, n’y avait pas réfléchi. Elle a rencontré Thomas, 5 ans, dans l’école où elle travaille. « Sa ma­ man avait disparu de la circula­tion. Le papa, seul avec ses 3 en­fants, ne s’en sortait pas. Ses sœurs ont été placées chez des membres de la famille. Il s’est vite attaché à moi. Il venait parfois à la maison le mer­credi après-­midi ».

Quand il a fallu trouver une fa­mille d’accueil pour Thomas, Valérie a franchi le pas. « On a la chance de former une famille équili­brée, on doit pouvoir partager cela. Mais l’arrivée d’un enfant est tou­jours un bouleversement pour toute la famille. Un enfant en souffrance demande encore plus de temps, plus de présence… Nos enfants ont réagi assez positivement à l’arrivé de Thomas. Au quotidien, c’était plus difficile. Ils étaient jaloux du temps
que je lui accordais. Thomas souf­frait d’un trouble de l’attachement, il me collait comme un Velcro ».

Valérie se sentait frustrée de ne pas pouvoir accorder du temps à tous ses enfants. À un moment donné, pour redonner de l’es­pace aux autres enfants, il a fallu mettre Thomas à l’inter­nat. « Il avait de grosses difficultés scolaires, et avait besoin d’une école spécialisée. Il a accepté assez facile­ment l’idée de rester à l’école la se­maine ».

Aujourd’hui, Thomas a 20 ans. « On est actuellement en train de lui chercher un lieu de vie où il pourra apprendre à être autonome. Notre souci, ce n’est pas que Thomas souf­fre d’un léger handicap mais le re­gard que la société porte sur la diffé­rence. Mais notre famille a toujours été dans une dynamique positive. On se dit que tout est possible. »

Thomas a vraiment trouvé sa place au sein de la fratrie. « Il est là pour toujours ».

Quand Valérie jette un œil dans le rétro, elle voit « une grande, grande aventure. Comme dans toute relation, on a beaucoup reçu. J’ai rencontré des gens super­ chouettes qui ont une belle ouver­ture ».

Une belle aventure même si il y a eu des moments difficiles.  « Les relations entre Thomas et ses parents étaient compliquées. Il res­tait parfois 2 ou 3 ans sans voir sa maman. Ces ruptures à répétition ont généré chez lui l’angoisse d’être abandonné. Ce n’était pas facile à gérer. Heureusement qu’on était bien soutenu par le service de place­ ment. »

Et Valérie de pointer quelques dysfonctionnements. « En 15 ans, on a eu affaire à 4 services d’aide à la jeunesse différents car l’enfant doit être suivi par le service de l’arrondissement où vivent ses parents biologiques ». Elle déplore aussi le manque d’autonomie et de confiance accordées aux fa­milles d’accueil, le manque de formation et le fait qu’à 18 ans, l’encadrement institutionnel cesse brutalement. « On propose au jeune un appartement et 800 € par mois. Beaucoup arrêtent alors leurs études. Ce sont des jeunes fra­ giles, les lâcher ainsi dans la na­ture, c’est catastrophique ».  Ca.D.

Siège social

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